Voyages d\\\'Ici et d\\\'Ailleurs

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Bocage (partie II )

 

Bocage

 

 

 

 Le lendemain, tandis que nous partions à l'école, Bocage s'installa dans le fond du jardin et commença à gratter les mauvaises herbes. Il semblait heureux de travailler parce qu'il fredonnait une chanson qui évoquait la vanille et le cumin. Dans la fraîcheur matinale, son chapeau de paille lui était inutile. Bocage avait les cheveux courts, plus blancs que noirs et légèrement frisés. On lui aurait donné une cinquantaine d'années.

A peine rentrée de l'école, je me précipitai dans le jardin pour retrouver Bocage. Mais il était retourné chez madame Wong. Maman ne l'avait gardé que la matinée et j'étais triste et en colère parce que je savais que chez cette dame riche, mon ami mangeait dans sa gamelle en fer sous le soleil. Je gardai mes sentiments pour moi en espérant que Bocage reviendrait vite terminer notre jardin. 

 

Les bagarres avec Hervé n'étaient plus ma priorité mais passaient quand même avant les devoirs. L'échec cuisant d'une bataille nous fît constater amèrement que nous nous battions à armes inégales. Tandis que nous fabriquions nos lance-pierre et que nous n'avions qu'un seul vélo pour cheval de bataille, Hervé et sa bande disposaient d'un arsenal de pistolets à fléchettes et d'un vélo chacun pour nous courir après. Ce n'était plus du jeu.

Du haut de notre arbre auquel nous avions accroché nos ceintures de judo en guise de lianes, nous dominions l'étang aux poissons visqueux, les grenadiers et une bande de canetons poursuivant leur maman. Pas d'arme, un quartier général d'arbre sans cabane, autant battre la retraite le temps de trouver une solution pour que ma bande ne reste pas dans la honte indéfiniment. Un vieux tricot tâché de jus de mangue faisait office de drapeau blanc.

 

Le samedi, nous quittions l'école un peu avant midi. Pour ne pas laisser partir les enfants le ventre vide, les cantinières nous proposaient un sandwich. Nous avions toujours le choix entre un sandwich au faux pâté de foie et un classique jambon-beurre.

Je préférais le faux pâté de foie et attendais que maman vienne me chercher dans la cour. Elle me trouvait souvent au même endroit, perchée dans un arbre. A côté de l'école,  un vieil épicier vendait des Solpacks. C'était des boissons très froides conditionnées dans des briques en carton de forme triangulaire.

Les enfants sont étonnants. Ils savent rester en file indienne et attendre ainsi chacun leur tour, sans jamais se disputer,  pour acheter leur boisson. Pour mes frères et moi, il n'était pas question d'un Solpack. Nous attendions de rentrer à la maison pour nous désaltérer avec l'eau du robinet réfrigérée. Plus tard dans l'après-midi, maman nous déposait à nos entraînements. Nous enchaînions les activités de judo puis de natation chaque mercredi et samedi. Hervé et ses acolytes profitèrent d'un après-midi sportif pour nous piquer nos lance-pierre et arracher les lianes de notre quartier général. Ils n'avaient pas respecté notre drapeau blanc au jus de mangue. C'en était trop !  Décision fut prise par ma bande et moi de fabriquer une cabane digne de ce nom et de surprendre l'ennemi le plus vite possible.

 

_ Bocage,  est-ce que tu sais construire une cabane ?

_ Oui, avec des branches de palmier et de bananier.

_ Tu pourrais jouer avec nous et nous aider ?

_ Je travaille mais quand j'aurai terminé, je viendrai voir ce que vous 

   avez fait.

 

  Bocage est très gentil. Il a compris notre manège. Il sait où habitent les enfants qui se livrent bataille.

 Nous avons construit notre cabane. Avec ses feuilles de palmier et de bananier elle est très belle. Mais un cyclone la détruira rapidement. Nous sommes un peu découragés mais le cyclone a créé dans sa folie de quoi nous occuper : une pluie de grenouilles.  Nous nous consolons en parcourant le chemin caillouteux  chacun notre tour sur le vélo. Le but du jeu : éviter de rouler sur les cadavres des grenouilles. Une variante démoniaque à ce jeu : rouler franchement sur les cadavres pour voir les viscères exploser la peau de ces pauvres bêtes.

 

 

 Le soleil revient et Bocage aussi. Je suis ravie ! Notre jardin est de plus en plus beau. Maman imagine déjà les petites fleurs qu'elle voudrait voir pousser au pied de la vigne. Papa passe son temps libre à retaper une Diane 6 aussi verte que la pelouse. Il a acheté un grand pot de peinture pour la repeindre une fois que tous les trous de rouille seront bouchés. Papa est souvent à la maison ; il ne part plus aussi longtemps. C'est mieux ainsi.

 

 _ Bocage, quel âge tu as ?

_ Je ne sais pas.

_ Mais, quand est-ce qu'on te fête ton anniversaire ? Tu dois le savoir quand même !

_ Non, je ne sais pas quand est-ce que je suis né.

_Moi, je suis née le 12 novembre. Ca veut dire que dans six mois  j'aurai neuf ans. Tu peux regarder le calendrier et te choisir une date d'anniversaire, si tu veux.

_ Je ne sais pas lire.

_ C'est pas grave, je t'apprendrai. Et on choisira une date pour te donner un âge.

_ Je sais compter et je suis trop vieux pour apprendre à lire. Mais tu peux choisir ma date d'anniversaire si ça t'amuse.

_ Le cyclone a détruit notre cabane.

_ Il y a un car de CRS sur le terrain d'Assani. Demande –lui si tu peux jouer dedans !

 

    Bocage a eu une idée brillante. La chance est avec nous parce que nous avons eu l'autorisation  d'investir le vieux car comme nouveau quartier général. Toute ma bande se réunit pour marcher jusqu'au

terrain vague. Hervé est sa troupe seront jaloux comme des poux. Ce sera génial ! Depuis notre car, nous pouvons observer sans être vus le va-et -vient de nos ennemis. Nous savons désormais où se trouve leur cachette. Eux, ne savent toujours pas que nous avons déménagé et se jettent sur notre ancien arbre où quelques vestiges d'une vie passée traînent encore.

J'établis un plan pour subtiliser toutes les armes dont les fameux pistolets à fléchettes et nos lance-pierre. Tout fonctionne à merveille. Hervé est en rage, nous sommes aux anges.

Dans notre car, c'est la fête. Maman nous a donné du chocolat, une grande bouteille de jus d'orange, des verres et un moule en plastic. Maman est chouette parce qu'elle nous laisse inventer nos recettes. Disposé sur le siège conducteur du car, le chocolat a fondu comme prévu dans le moule et nous trempons nos doigts dans cette pâte au goût délicieux de notre grande victoire.

     

 

 

 

                                    ***********************

 

 

 



09/09/2008
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