La tendresse de l'arbre
La tendresse de l'arbre.
Je marche depuis si longtemps dans ces contrées bien éloignées de mon pays natal que regarder tous ces enfants courir autour de moi en me réclamant de leur prendre la main me donne l'impression d'être un vieil homme usé par les vents traversés. Elles sont tout autour de moi ces petites canailles et elles ont raison de se moquer de mon accoutrement ; je ne suis plus qu'un fil de fer aux jambes poussiéreuses . Un short rouge et un tricot jaune délavés n'ont rien de reluisant comparés à l'éclat de leurs rires. Je n'ai rien à leur offrir si ce n'est quelques sourires et deux ou trois décoiffages de petites têtes sautillantes . J'arrive sur la place du village avec ma jeune escorte quand soudain les enfants se taisent et rejoignent d'autres petits du même âge qu'eux.
Ils sont tous assis autour d'un arbre et tellement silencieux. C'est impressionnant. Je ne crois pas qu'il faille avancer davantage. Je pense que je dois me taire mais je ne sais pas encore pourquoi. Que peut-il bien avoir de spécial cet arbre pour que des enfants restent aussi sages ? Des parents ou des professeurs n'obtiendraient pas un tel calme.
Le soleil commence à disparaître derrière l'église du village tandis que de l'autre côté du ciel une étoile scintille timidement. Puis c'est le vent qui sort de son sommeil . Allégé par la fraîcheur de la rosée il se soulève de terre et berce les enfants d'une douceur pareille à celle de ces mères emplies de grâce que l'on peut voir sur des peintures. Celles-là mêmes qui donnent le sein avec une infinie tendresse qu'elles en oublient jusqu'à l'existence du monde. Un peu en retrait , je trouve un banc pour m'y reposer. Je suis éreinté .
Unis dans la voix, les petits commencent à chanter. Quelques instants plus tard, je m'aperçois qu'ils accordent parfaitement leurs sons aigus au souffle du vent s'agitant dans les hautes feuilles alors que les sons les plus graves sont dédiés aux racines. Je veux fermer les yeux et m'endormir profondément mais je veux aussi résister pour connaître la suite de ce qui ressemble à un rituel.
Un grand enfant, sans doute l'aîné de l'assemblée, se lève . Il ne chante plus. Il avance lentement vers l'arbre et se love au creux de lui , protégé par des racines épaisses et usées de bien cent années. Enroulé sur lui-même , le petit ferme les yeux. Le chant devient un peu plus aigu, le vent un peu plus vigoureux et pourtant c'est une paix immense que je ressens au fond de moi. Une sérénité qui s'étendrait sur chacun de nous comme une couverture invisible ; le ciel, j'imagine…
Mes yeux sont trop lourds. Le sommeil emporte mon esprit évaporé dans la beauté du chant.
Les cloches sonnent et je vois, dans l'éblouissement du soleil, des visages qui s'agitent autour de moi. J'entends des rires de petites filles et de petits garçons. Ce sont les enfants de la veille. J'ai passé la nuit sur le banc et ils s'amusent à toucher mon visage à la barbe piquante du bout des doigts. A mon tour je ne peux m'empêcher de rire à la fois de mon allure mais surtout parce qu'ils m'apportent de la joie au cœur.
Je me présente en me montrant de l'index et en disant : «Pierre ». Mais de mon prénom j'ai bien le sentiment qu'ils n'en feront rien.
L'un d'eux m'agrippe la main et m'entraîne vers une hutte. Il me fait signe de prendre place à même le sol, de boire ce breuvage qui ressemble à du café puis d'attendre que quelqu'un vienne me chercher. Dans la pénombre, une douce fatigue me saisit . Une force extérieure à ma volonté m'invite à m'allonger sur une natte au fond de mon abri temporaire. La torpeur… Quelques heures ou quelques jours plus tard, une fillette entre , elle s'agenouille à mes côtés et ouvre ma main. En suivant les lignes de ma paume, elle chuchote puis s'interrompt et repart. Je sombre à nouveau jusqu'à l'approche de la nuit. Le temps n'a guère de sens et le parcours du soleil , je ne le connais plus.
Les enfants se sont remis à chanter avec le vent. L'arbre frissonne entre les dernières lumières du jour et la première étoile de la nuit. La fillette vient me chercher et m'installe au creux de l'arbre. Je n'ai pas peur, c'est tout à fait le contraire que j'éprouve ; une plénitude totale comme un soulagement profond sans précédant. Sans réfléchir, je me recroqueville. Mes cheveux caressent mes tempes et le chant aigu de tous les petits êtres entourant l'arbre berce mon âme jusque dans l'inconscience.
Le lendemain, une femme s'approcha du village. Elle aussi venait de traverser une forêt, un désert, des rivières parfois tourmentées. Elle vit des enfants rejoindre ses pas, les bras ouverts, les visages rire la lumière jaillissante. Sans peur et n'ayant rien à leur offrir de plus que son regard pétillant de curiosité, elle se laissa prendre les mains par ses guides qui comptaient depuis la veille une créature supplémentaire.
Adi
Le 18 novembre 2008
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